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17 octobre 2015 6 17 /10 /octobre /2015 17:23

Savant et ascète de Kufa, il naquit en 97H/715 ; sa désignation d'al-Thawrî (« le Taureau ») proviendrait, selon 'Attâr, du fait qu'alors il était encore jeune, il pénétra « dans une mosquée sans se préoccuper de la manière dont il y posait le pied » et qu'il « entendit une voix qui le traitait de thawr » (p. 191), d'où le surnom qui allait lui restée. Ce juriste réputé parmi les premiers spirituels soufis s'est consacré science du hadîth et fait partie des plus grandes références en ce domaine (on le surnommait amîr al-mu'minm, « prince des croyants », titre habituellement attribué aux califes). « Les sources indiquent qu'il désapprouva la corruption des figures politiques. On dit qu'il était toujours en fuite pour sauver sa vie et qu'il écrivait ses notes sur sa chemise car il ne pouvait emporter ses livres avec lui. Vers la fin de sa vie, [après être passé par le Yémen où il fut commerçant puis s'être rendu à plusieurs reprises à La Mecque mais aussi au Liban, en Syrie et en Palestine] il dut s'exiler à Bassora [de 155 à 161H/772-778 pour échapper à la vindicte du calife abbasside al-Mansûr] » (Cornell, p. 74). Là, il y fut le disciple de Râbi'a al-'Adawiyya qui s'adressait souvent à lui avec sévérité ; beaucoup des sentences de la sainte ont été rapportées par son intermédiaire. Il fonda une école de droit, la thawriyya ; assez populaire parmi les soufis, elle ne rencontra cependant pas un grand écho au sein de la communauté musulmane. On lui doit un commentaire du Coran. 'Attâr rapporte que ce grand spirituel serait resté vingt ans sans dormir la nuit (p. 192). Il mourut à Bassora en 161H/778.

Il dit : «Je suis surpris qu'en Enfer, on trouve plus de femmes que d'hommes car la conduite des hommes est pire que celle des femmes. » Ou encore : « Le savant est le docteur de la religion et l'argent sa maladie. Quand le docteur contracte la maladie comment pourrait-il soigner l'autre ? »

On ne doit pas le confondre avec Sufyân b. 'Uyayna, natif lui aussi de Kufa, et qui vécut dans la même période mais se fixa et enseigna, par contre, à La Mecque.

Tiré du livre Femmes soufies, Sulamî. Notices biographiques par Jean Annestay

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7 septembre 2015 1 07 /09 /septembre /2015 21:01

Abu l-Fayd Dhû l-Nûn Thawbân b. Ibrâhîm al-Misrî naquit à Akhmîm (l'ancienne Panopolis) en Haute-Egypte vers 180H/796 de parents nubiens. On dit qu'il aurait été un esclave affranchi. Son surnom de Dhû l-Nûn, « celui du poisson », était le nom coranique de Jonas (21, 87). Il étudia la médecine puis le tasawvuf auprès de différents maîtres, dont Sa'dûn le Cairote, et effectua de nombreux voyages, se rendit à La Mecque mais aussi à Damas et visita les spirituels de Lubbân, au sud d'Antioche. Il s'opposa aux Mu'tazilites à qui il reprochait de ne pas reconnaître le caractère incréé du Coran. Il fut un des premiers à enseigner la doctrine de la connaissance intérieure ou celle des états spirituels fixes (maqâm) et transitoires (ahwâl). On lui reprocha de professer la doctrine soufie en public. Alchimiste et thaumaturge, il fut arrêté pour hérésie en 214H/829, à Bagdad. Innocenté, selon 'Attâr, par le calife lui-même qui devint son disciple il revint au Caire et demeura en Egypte jusqu'à sa mort à Gizeh aux environs de 246H/861. Il était célèbre au point qu'à son décès, la foule était si nombreuse que l'on craint qu'elle ne fasse s'effondrer le pont que le cortège funéraire traversait. Une nuée d'oiseaux verts l'accompagna jusqu'à la tombe. Ibn 'Arabî lui a consacré un ouvrage, al-Kawkab al-durri fî manâqib Dhî l-Nûn al-Misri (traduit en français par Deladrière sous le titre La vie merveilleuse de Dhû l-Nûn l'Égyptien, Paris, 1988). Comme Râbi'a, il mit l'accent sur l'amour de Dieu et sur la ma'rifa, la connaissance intuitive et spirituelle, qu'il opposait au 'ilm, la connaissance discursive et mentale. Il compte parmi les premiers à avoir traité de la doctrine des états spirituels (ahwâl) et des stations de la sagesse (maqâmât). Comme Abu Yazid al-Bistâmî, son ami, il suivit la voie du blâme.

Il voyait dans la sincérité « l'épée de Dieu sur terre, qui tranche tout ce qu'elle touche. » II dit : « les gnostiques ne sont pas eux-mêmes, mais pour autant qu'ils aient une existence, c'est en Dieu qu'ils existent. »

Tiré du livre Femmes soufies, Sulamî. Notices biographiques par Jean Annestay.

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21 juillet 2015 2 21 /07 /juillet /2015 22:08

Al-Rifâ'î (Ahmad b. 'Alî Abu l-'Abbâs)

Ce maître spirituel et savant shâfi'ite naquit aux environs 500H/1106 dans un petit village de la région marécageuse de l'Irak située entre Bassora et Wâsit. Il est appelé aussi al-Maghribî car son grand-père avait émigré de La Mecque à Séville en Espagne puis, de là, à Bassora. On sait peu de choses le concernant. Selon certains fils posthume, selon d'autres ayant perdu son père à l'âge de sept ans, il fut élevé par son oncle maternel. Il étudia auprès du savant shâfi'te 'Alî al-Wâsitî et poursuivit ses études jusqu'à l'âge de vingt-sept ans et reçut alors la khirqa de son oncle qui lui enjoignit de s'installer dans le petit village d'Umm 'Ubayda, non loin de là où il était né et où il demeura jusqu'à sa mort. Ahmad Rifâ'î reprit la direction de la confrérie à la mort de son oncle qui la dirigeait. Il en étendit la réputation de façon fabuleuse et sa tarîqa compta très vite un grand nombre de disciples. Certains, dont Ibn al-Jawzî, attestent qu'il aurait également attiré des foules d'une centaine de milliers de personnes. Il ne laissa derrière lui aucun traité mais des sermons, un dîwân et diverses récitations et awrâd (« pratiques dévotionnelles »). Il ressort des propos qui nous sont parvenus de lui qu'il serait un descendant du Prophète et de sayyida Fâtima et le « substitut » (nâ'ib) de l'Envoyé sur terre. Cependant, d'une extrême humilité, il aurait, selon d'autres, refusé tout titre, qu'il s'agisse de Qutb, de Ghawth ou même de Shaykh. Quand on lui rapporta les paroles de sidnâ Jîlânî selon lesquelles ce dernier déclarait avoir « son pied sur la nuque de tous les saints », il ajouta : « et sur la mienne aussi ». Il mourut en 578H/1182. Son ordre se développa et acquit une réputation considérable au VIe siècle de l'Hégire (XIIe siècle de l'ère chrétienne). Il s'étendit en Égypte, en Syrie, en Turquie et fut la plus répandue des confréries jusqu'au IXe siècle de l'Hégire (XVe siècle de l'ère chrétienne).

Il écrivit dans son Hâla : « C'est par la science de la connaissance que le secret intime (sirr) du serviteur s'envole, doté des ailes de la connaissance, dans le domaine des "subtilités" de la toute puissance divine, et s'élève vers les jardins de la sainteté divine. »

Tiré du livre Femmes soufies, Sulamî. Notices biographiques par Jean Annestay

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16 mai 2015 6 16 /05 /mai /2015 17:49

Al-Suyûtî (Abu al-Fadl 'Abd al-Rahmân b. Abu Bakr b. Muhammad Jalâl al-Dîn al-Khudayrî)

Né en 849H/1445 au Caire, ce savant égyptien est connu pour son œuvre prolifique. D'origine persane par son père et circassienne par sa mère, il serait né dans la bibliothèque familiale ce qui lui valut son surnom de « fils des livres » (ibn al-kutub). Son père mourut alors qu'il n'avait que six ans. Plusieurs tuteurs le formèrent et, dès l'âge de quatorze ans, il avait une solide base religieuse. À dix-huit ans, il reprit l'enseignement du droit shâfï'ite qu'exerçait son père à la mosquée de Shaykhû puis du hâdîth en 1472. D'une mémoire prodigieuse, il connaissait par cœur quelques deux cents mille paroles du Prophète. II se rattacha à la tariqah shâdiliyya et prôna l'équilibre entre la loi et la Voie. Il se mit assez tôt à écrire et, avant d'avoir atteint la trentaine ses livres se répandirent très vite hors d'Egypte jusqu'en Inde. Sa renommée le mit bientôt en butte à la jalousie de ses pairs. On lui reprocha notamment son emploi de l'ijtihâd mais sans qu'il fut jugé condamnable. En 1486, jugeant corrompu le milieu des 'ulâma, il se retira du monde et cessa de délivrer des fatwâs. Ses relations avec le sultan s'envenimèrent et il s'opposa à lui en diverses circonstances et déclina l'offre que lui fit son successeur de diriger la madrasa. D'une façon générale, il rejeta le pouvoir des Mamelouks. C'est en 1501 qu'il se retira totalement dans sa maison de Rawda où il mourut en 911H/1505. Sa sainteté et la valeur scientifique de ses écrits était alors reconnue par tous. Il affirma avoir vu plus de soixante-dix à Prophète à l'état de veille et on rapporte à son propos divers miracles. Il prôna la complémentarité de l'exotérisme et du tasawwuf. On lui attribue jusqu'à 981 ouvrages.

Il fit répondre au sultan qui venait de le gratifier d'un cadeau : « Qu'il ne revienne jamais plus près de nous avec un présent car, en vérité, Dieu a mis fin à de tels besoins en ce qui nous concerne. »

Tiré du livre Femmes soufies, Sulamî. Notices biographiques par Jean Annestay

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10 avril 2015 5 10 /04 /avril /2015 20:42

Ce Maître spirituel vécut dans le courant du IIIe siècle de l'Hégire (IXe siècle de l'ère chrétienne). Il est né aux environs de 820 à Tirmidh, non loin de Balkh, dans le Khorasan, d'une famille de théologiens. Les rares choses que l'on sait de lui proviennent de son Bad sha'n al-Hakîm al-Tirmidhî. Vers l'âge de trente ans il fit le pèlerinage à La Mecque. À son retour, il se dédia à la voie spirituelle. Il semble qu'il n'ait appartenu à aucune confrérie ni n'ait eu de maître physique mais, selon son disciple Abu Bakr al-Warrâq, que son rattachement spirituel se soit effectué par la personne d'al-Khidr ainsi que le laissent entendre Hujwîrî et 'Attâr. Lui-même émit des réserves quant au fait de « dépendre d'un être créé » (makhlûq) dans sa quête du « Créateur » (al-Khâliq). Accusé, suite à une mésinterprétation de ses propos de prétendre à la dignité prophétique, il fut dénoncé au gouverneur de Balkh et connut diverses difficultés : emprisonné en 264H/874, les charges retenues contre lui par les docteurs de la Loi ne furent pas retenues et il fut libéré. Il aurait accédé au rang des quarante siddiqîn. Il vécut très âgé et mourut à Nichapour vers 285H/898 selon certains, entre 905 et 910 selon d'autres, ou encore entre 318-320 H/936-938. Auteur prolifique de la Voie, ses écrits eurent un rôle considérable sur le soufisme des siècles qui le suivirent. Parmi ses œuvres les plus connues, on citera la Sirât al-awliyâ, « Vies de Saints», et le Khatm al-awliyâ, « Le Sceau des Saints », dans lequel il posait 157 questions auxquelles seul le Sceau des saints précisément serait en mesure de répondre, ce que fit, plusieurs siècles plus tard, Ibn 'Arabî dans deux de ses ouvrages, sous forme d'un traité et, de façon plus étendue, dans un très long chapitre, qui traduit intégralement représenterait plusieurs centaines pages, des Futûhât al-Makkiyya.

Il disait : « Cent lions affamés pénétrant au milieu d'un troupeau de moutons n'y causeront pas autant de ravages que Satan en un instant dans le cœur du pécheur. »

Tiré du livre Femmes soufies, Sulamî. Notices biographiques par Jean Annestay

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19 mars 2015 4 19 /03 /mars /2015 21:47

Ibn 'Arabî (Muhyî al-Dîn Abu 'Abd Allah Muhammad b. 'Alî b. Muhammad al-Tâ'î al-Hâtimî)

Né en 560H/1165 à Murcie en Andalousie, il est considéré comme « le plus grand des maîtres » (shaykh al-akbar). Son influence fut fondamentale. Il fut véritablement le « Vivificateur de la tradition » comme son surnom de Muhyî al-Dîn l'indique. On lui attribue plus de huit cents ouvrages.

Ibn 'Arabî vint à Séville à l'âge de huit ans, y fit ses études et y mena la vie aisée d'un adolescent issu d'une famille noble. Très tôt cependant, lors d'une maladie qui le fit passer pour mort à son entourage, il eut une vision qui détermina sa vie spirituelle. Tout en soutenant que sa connaissance lui fut communiquée sans intermédiaire, on sait cependant qu'il servit de nombreux shuyûkh d'Espagne et d'Afrique du Nord, notamment en Tunisie, en Égypte et à Jérusalem. Lui-même mentionne Abû Madyan comme son maître bien qu'il ne le rencontra jamais extérieurement. Son rattachement se fit vraisemblablement par l'intermédiaire de Sayyidinâ 'Isa (Jésus) et il fut en contact aussi avec le personnage appelé dans le Coran, Khidr, qui représentait la science cachée dès les temps de Moïse. La filiation spirituelle à laquelle se relie Ibn 'Arabî s'effectua sous des modalités extrêmement rares qui dépassent le cadre d'investigation strictement historique. Tout en voyageant beaucoup, jusqu'en 590H/1194, il garda longtemps Séville comme point d'attache. Il séjourna deux années à La Mecque où il se rendit, pour la première fois, en 598H/1201 et y eut de nombreuses ouvertures et visions. C'est là où il reconnut dans la Ka'ba le point de jonction entre les mondes de l'invisible (ghayb) et du visible (shuhûd) et où il commença son ouvrage le plus fameux, les Futûhât al-Makkiyya qui comprend plusieurs milliers de pages (l'œuvre a été qualifiée de « Bible de l'ésotérisme en Islam »). Il se rendit ensuite en Syrie puis revint à Jérusalem, au Caire et à La Mecque enfin à Konya et à nouveau en Syrie. Outre Bagdad, il visitera aussi Alep et Sivas. Mais, à partir, de 6I2H/1216, il demeura surtout à Malatya en Anatolie où naquit son premier enfant, un fils, en 618H/1221. Après avoir vécu célibataire une bonne partie de sa vie, il se maria pour approfondir le sens du hadtth prophétique rapportant que le Prophète avait apprécié trois choses en ce monde : la salât, le parfum et les femmes. Il se maria d'ailleurs plusieurs fois et eut sans doute de nombreux enfants quoique seul le nom de deux d'entre eux nous soient parvenus. On ignore exactement quand il s'établit à Damas mais sa présence n'y est pas attestée avant 627H/1230, année où il fut en butte aux critiques des exotéristes mais défendu et protégé par de nombreux docteurs de la Loi. Ce fut à la suite d'une révélation qu'il eut en 627H, qu'il écrivit son second ouvrage majeur, les Fusûs al-Hikam (en français les « Chatons de la Sagesse »). Il en reçut l'intégralité en une nuit du Prophète lui-même. Il mourut en 638H/1 à Damas.

Il fut sans doute, à tous points de vue, le plus fécond de tous les auteurs soufis. Dans son Histoire et classification de l'œuvre d'ibn Arabi, Othman Yahia répertorie 846 ouvrages qui lui seraient attribués, Ibn 'Arabî lui-même avouait ignorer combien il avait pu en écrire. Ibn 'Arabî s'attira parfois la réprobation de religieux littéraliste et certains de ses détracteurs, tels que, par exemple, Ibn Taymivya sont avérés eux-mêmes du reste souvent empreints d'hétérodoxie. Sha'rânî écrivit un ouvrage pour le défendre ainsi que 'Abd al-Ghanî al-Nâbulusî. Parmi les plus célèbres des maîtres ayant connu son influence, on mentionnera Qûnawî, Nâbulusî et l'Émir 'Abd al-Kader qui en fut le premier éditeur et dont les Mawâqif (« Le Livre des Haltes ») sont profondément marqués par sa doctrine. Selon Roger Deladrière, Ibn 'Arabi est l'auteur de « l'œuvre théologique, mystique et métaphysique la plus considérable qu'aucun homme ait jamais réalisée ». Elle aborde toutes les sciences religieuses islamiques.

Tiré du livre Femmes soufies, Sulamî. Notices biographiques par Jean Annestay

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7 mars 2015 6 07 /03 /mars /2015 22:21

II naquit entre 1077 et 1083 en Iran à Niff, une petite ville de la province du Djilan, au sud-ouest de la mer Caspienne. Il fut le pôle (Qutb) de son temps et occupe une place centrale dans l'histoire du soufisme.

Son père et son grand-père maternel étaient descendants de 'Alî b. Abî Talib, le très fameux gendre du Prophète. Sa mère avait déjà soixante ans à sa naissance. Il vit le jour en mois de rarnadân en 470H/1077. Les circonstances qui précédèrent sa naissance lui valurent plus tard le surnom de « faucon gris des cieux ». Sa mère, Fâtima portait au visage la cicatrice d'une ancienne blessure qui remontait à bien avant son union avec son mari. Bien qu'elle en eut tenu secrète les circonstances, son fils les lui révéla : alors que, seule, elle était allée puiser de l'eau à une source, un misérable avait voulu l'abuser. I1 allait triompher, lorsque du ciel fondit sur lui un faucon gris, qui lui arracha les deux yeux, la délivrant ainsi. La jeune femme s'était evanoui et, pour lui faire reprendre conscience, le faucon lui avait effleuré la joue de sa griffe, d'où la marque qu'elle portait. Stupéfaite, la mère voulut savoir comment il avait eu connaissance de ces faits qu'elle n'avait racontés à personne et il lui révéla alors que, le faucon, c'etait lui.

Très tôt, il vit des êtres spirituels que son entourage ne pouvait percevoir. Lorsqu'il eut l'âge de fréquenter l'école, il vit à plusieurs reprises ces êtres l'accompagner. À dix-sept ans, il fut transporté de Niff au mont 'Arafat où il vit des milliers et des milliers de pèlerins marchant en procession compacte. Sa vision achevée, il supplia sa mère de le laisser partir pour Bagdad, afin de pouvoir s'instruire dans une école de droit et fréquenter les saints personnages réputés de cette époque. À Bagdad, il fit des études de droit hanbalite. Mais ses maigres ressources épuisées, il fut contraint de rechercher sur les bords du Tigre et dans la campagne environnante des déchets de légumes et de salades laissés par les cultivateurs et de dormir dans les ruines de Madaïne. Ses états spirituels se prolongeaient parfois durant de longues heures et lui occasionnaient des évanouissements et des défaillances. Une fois, il plongea dans un état de léthargie si prolongé qu'on le crut mort et qu'on fit procéder aux soins mortuaires et seul remuement de paupières lui évita d'être enterré.

Déçu par les fastes et les dérives de la vie citadine, il décida de quitter Bagdad mais ne put en franchir les portes. A chaque fois qu'il s'y essaya, il fut terrassé par un choc violent jusqu'à ce qu'il comprenne l'ordre qui lui était adressé, à savoir qu'il devait y demeurer « pour préparer une œuvre dont les hommes plus tard lui sauraient gré ».

Reprenant ses études de droit, il prit pour maître dans la voie Hammâd al-Dabbas et dut subir les épreuves les plus diverses sans perdre de sa vénération pour son guide. Il entreprit une retraite de vingt-cinq années dans le désert Irakien, quand la même voix qui lui avait enjoint de demeurer à Bagdad lui commanda d'y revenir et d'y prêcher, encouragé en cela par le Prophète lui-même. Il obéit et acquit rapidement la réputation de très grand savant doublé de maître vénéré. Son auditoire augmenta bientôt à un tel point qu'il dut se déplacer vers la place publique. Le peuple pouvait rester jusqu'à la nuit pour l'entendre. Même des califes vinrent lui rendre visite et lui témoigner leur respect en dépit du peu de crédit que 'Abd al-Qâdir accordait aux hommes de pouvoir. Une école fut construite qui accueillait chaque année trois mille étudiants et que 'Abd al-Qâdir lui-même instruisait. Si bien qu'en quarante années, il enseigna à plus de cent vingt mille élèves. On le surnomma Muhyî al-dîn, le « vivificateur de la religion ».

Ce n'est que vers les toutes dernières années de sa vie que 'Abd al-Qâdir ressentit les atteintes de l'âge et se vit contraint de restreindre l'ardente activité à laquelle il était accoutumé. Alors, dans ses moments de lassitude, le grand saint exprima le souhait d'« une mort à laquelle ne serait pas soumise la vie et d'une vie à laquelle ne serait plus nécessaire la mort». Il mourut en 561H/1165.

Son influence dépassa les frontières de l'Irak dès avant son décès. Cependant, il ne fonda pas de voie de son vivant. Il avait prévu la succession de l'école religieuse (madrasa) qu'il dirigeait depuis la dis­parition de son professeur. Ces fils en firent rapidement une zawiya à laquelle ils associèrent l'école ainsi qu'une mosquée et le mausolée du shaykh. La Qadîriyya ne se répandra véritablement qu'à partir du XVe siècle et parviendra à s'implanter dans des pays comme l'Inde, le Turkestan, l'Arabie, l'Egypte, l'Afrique du Nord et certains pays de l'ex-Union soviétique. Plusieurs traités nous sont parvenus de lui, tous riches en enseignements et extrêmement précieux, parmi lesquels on mentionnera al-Fath al-rabbânî et le Futûh al-ghayb.

Il écrivit les vers suivants :

« O toi qui recherches par ignorance

Les paradis, ses houris et ses anges,

C'est la Vision sacrée qu'il te faut désirer.

Quant à nous, en amoureux obstinés,

Nous voulons vivre éternellement fixés

Dans le sillage des pas de notre Bien-Aimé. »

Tiré du livre Femmes soufies, Sulamî. Notices biographiques par Jean Annestay

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20 janvier 2015 2 20 /01 /janvier /2015 21:10

La Futuwah est de donner à l'amitié les droits qui lui reviennent et avoir envers elle le comportement de politesse qui lui convient. Elle consiste à avoir la déférence envers celui qui est au-dessus de toi, vivre dans l'entente et l'harmonie avec tes pairs et être le compagnon aimant, compatissant et clément de ceux qui sont au-dessous de toi.

C'est aussi être le compagnon de tes parents en leur étant soumis et obéissant, celui de tes enfants par la compassion et l'intérêt pour leur éducation, celui de ta femme par la finesse et les ménagements qui lui conviennent, celui de tes proches parents par un comportement de bienveillance et de générosité, celui de tes frères (en Dieu) par une amitié sincère en cherchant à les aimer toujours davantage, celui des voisins en leur évitant toute nuisance, celui du commun des hommes par une attitude fine et accueillante, celui des pauvres en respectant leurs droits sacrés et en reconnaissant leurs valeurs, celui des riches en affirmant ton indépendance vis-à-vis d'eux, celui des savants (en théologie) en acceptant les orientations qu'ils te donnent, celui des saints par ton humilité, ta soumission et le fait de ne jamais les dénigrer. Il faut aussi éviter dans tes moments libres le compagnonnage des prétentieux et des innovateurs et de ceux qui apparaissent sous les aspects des ascètes avec pour seul but d'avoir des disciples et de les exploiter.

Futuwwah, Traité de chevalerie soufie, Al-Sulami, p. 92

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27 décembre 2014 6 27 /12 /décembre /2014 21:56

 

   Plus d'un délégué a mentionné durant ce congrès que l'Islam embrasse la totalité de la vie, ce que nul ne met en doute. Mais ce qui se passe en fait aujourd'hui dans plusieurs, sinon dans la plupart, des pays islamiques, c'est que la vie embrasse l'Islam – mais « embrasse » n'est pas le terme exact, car c'est d'une mainmise qu'il s'agit plutôt que d'un embrassement ! La vie bannit la religion en la reléguant dans un petit coin, et en l'étouffant de plus en plus au point qu'elle puisse à peine respirer.

   Et quel est le remède ?

   En guise de réponse à cette question, rappelons-nous certains aspects extérieurs de notre civilisation – j'entends la civilisation islamique – aspects dont la fonction était, et peut être à nouveau, de jouer le rôle de coquille protectrice pour le noyau, c'est-à-dire pour la religion elle-même. L'étoffe de notre civilisation est tissée de l'exemple donnée par notre Prophète ; et particulièrement significatif à cet égard est le fait que sa maison était un prolongement de sa mosquée. C'est ainsi que pour douze cents ans – et davantage dans maints pays islamiques – les maisons de son peuple furent les prolongements des mosquées. Le Musulman enlevait ses chaussures quand il entrait dans sa maison, tout comme il les enlevait quand il entrait dans la mosquée ; il s'asseyait dans sa maison de la même manière qu'il s'asseyait dans la mosquée ; et il décorait les murs d'ornements pareils à ceux qu'il voyait aux murs de la mosquée ; et il n'aurait pas davantage placé dans sa maison des ornements non conformes à une mosquée. Il était donc constamment entouré de rappels de la dignité et des responsabilités spirituelles de l'homme, et il se vêtait selon les mêmes principes. Ses vêtements correspondaient à la dignité de la fonction de l'homme en tant que représentant de Dieu sur terre ; ils lui permettaient en même temps de faire aisément les ablutions, et ils étaient en parfaite conformité avec les mouvements de la prière. Qui plus est, ils étaient un ornement pour cette prière, à la différence des habits européens modernes qui privent les mouvements de la prière de toute leur beauté et les gênent, tout comme ils font fonction de barrière entre le corps et les ablutions.

   Tout ce dont je j'ai fait mention est extérieur, mais les actes extérieurs influent sur l'intérieur, et les vêtements d'un homme, de même que sa maison, sont les choses les plus proches de son âme, et leur influence sur celle-ci est continuelle, et par conséquent d'une puissance incalculable. Il ne peut faire de doute que ces objets extérieurs furent l'un des secrets de la profondeur de la piété chez les Musulmans durant douze cents ans ; et cela nous ramène à la parole que l'Islam embrasse la totalité de la vie. Grâce aux aspects extérieurs de la civilisation islamique, la totalité de la vie était en fait pénétrée par la religion, et je ne vois pas d'autre remède à notre présente crise religieuse qu'un retour à cette noble civilisation dont la fonction est de créer un cadre digne de l'esprit de la religion, un cadre qui rend relativement facile l'accomplissement de nos obligations rituelles. Or la communauté ne peut pas non plus se dispenser de l'aide de tout ce qui facilite la vie spirituelle, car l'homme a été créé faible. Mais ce retour ne peut être réalisé que par la mise en œuvre d'exemples à grande échelle.

   Arabes, vous êtes dans la maison de l'Islam, et après votre indépendance vous êtes libres d'y faire ce que vous voulez ; nous vous regardons du dehors de cette demeure, et nous plaçons nos espoirs en vous. Ne nous décevez pas.

 

Martin Lings, Retour à l'esprit, p. 106-112

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9 décembre 2014 2 09 /12 /décembre /2014 19:52

    Il n'y a pas un seul d'entre nous, qu'il soit arabe ou non-arabe, que ne se réjouisse de l'indépendance des États arabes et des pays islamiques en général, et il était à espérer que cette indépendance apporterait un retour à la noble civilisation de l'Islam. Mais que voyons-nous ? Nous voyons que, sans la moindre discrimination, les portes sont toutes grandes ouvertes à tout ce qui vient d'Europe et d'Amérique. Il n'est pas hors de propos de rappeler ici que pour nous – et il doit en être de même pour toute vraie religion, d'une façon implicite ou explicite – toute possibilité terrestre trombe dans une des cinq catégories suivantes : celle de l'obligatoire (fard), du fortement recommandé (mandûb), du licite (mubâh), du fortement déconseillé (makrûh) et de l'illicite (harâm). C'est contre la deuxième et la quatrième de ces catégories qu'un mouvement subversif dirigera ses efforts, au début en tout cas, car elles sont moins absolues que la première et la cinquième, et il est dès lors plus facile de briser leur résistance. Et il faut noter que les termes mandûb(fortement recommandé) et makrûh (fortement déconseillé) ont changé de signification. C'est ainsi qu'aux yeux des champions de cette « renaissance » dont nous sommes maintenant supposés jouir, ce qui est « fortement déconseillé » est tout ce qui reste de la civilisation islamique en matière de Sunna1, comme porter le turban et ne pas se raser la barbe, alors que ce qui est « fortement recommandé » est tout ce qui vient de l'Occident. Il se peut bien que très peu aillent réellement jusqu'à dire que telle chose ou telle autre est déconseillée parce qu'elle appartient à la civilisation de nos pieux ancêtres, ou que telle chose ou telle autre est recommandée parce qu'elle vient de l'Occident. Mais à en juger par les faits, on pourrait s'imaginer que de tels mots sont sur toutes les langues, telles pensées dans tous les esprits. Et quel en est le résultat ? C'est que la génération montante est plus ignorante des pratiques de l'Envoyé de Dieu, et plus coupées de ces pratiques que toute autre génération venue à l'existence depuis l'aube de l'Islam. Comment pourrions-nous dès lors augurer favorablement de la situation présente ? Et comment ne reculerions-nous pas devant le mot « renaissance » comme devant un mauvais présage ?

    Tout ceci avait été prévu par le Prophète. Il déclara : « Vous suivrez les voies de ceux qui vous ont précédés2 empan après empan, et coudée après coudée, jusqu'à les accompagner s'ils descendent dans le repaire d'un reptile venimeux. » Cette descente est en train de se produire, et on l'appelle développement et progrès.

Martin Lings, Retour à l'esprit, p. 106-112


1Sunan (singulier Sunna), c'est-à-dire les coutumes du Prophète.

2Les Juifs et les Chrétiens.

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