Il n'y a pas un seul d'entre nous, qu'il soit arabe ou non-arabe, que ne se réjouisse de l'indépendance des États arabes et des pays islamiques en général, et il était à espérer que cette indépendance apporterait un retour à la noble civilisation de l'Islam. Mais que voyons-nous ? Nous voyons que, sans la moindre discrimination, les portes sont toutes grandes ouvertes à tout ce qui vient d'Europe et d'Amérique. Il n'est pas hors de propos de rappeler ici que pour nous – et il doit en être de même pour toute vraie religion, d'une façon implicite ou explicite – toute possibilité terrestre trombe dans une des cinq catégories suivantes : celle de l'obligatoire (fard), du fortement recommandé (mandûb), du licite (mubâh), du fortement déconseillé (makrûh) et de l'illicite (harâm). C'est contre la deuxième et la quatrième de ces catégories qu'un mouvement subversif dirigera ses efforts, au début en tout cas, car elles sont moins absolues que la première et la cinquième, et il est dès lors plus facile de briser leur résistance. Et il faut noter que les termes mandûb(fortement recommandé) et makrûh (fortement déconseillé) ont changé de signification. C'est ainsi qu'aux yeux des champions de cette « renaissance » dont nous sommes maintenant supposés jouir, ce qui est « fortement déconseillé » est tout ce qui reste de la civilisation islamique en matière de Sunna1, comme porter le turban et ne pas se raser la barbe, alors que ce qui est « fortement recommandé » est tout ce qui vient de l'Occident. Il se peut bien que très peu aillent réellement jusqu'à dire que telle chose ou telle autre est déconseillée parce qu'elle appartient à la civilisation de nos pieux ancêtres, ou que telle chose ou telle autre est recommandée parce qu'elle vient de l'Occident. Mais à en juger par les faits, on pourrait s'imaginer que de tels mots sont sur toutes les langues, telles pensées dans tous les esprits. Et quel en est le résultat ? C'est que la génération montante est plus ignorante des pratiques de l'Envoyé de Dieu, et plus coupées de ces pratiques que toute autre génération venue à l'existence depuis l'aube de l'Islam. Comment pourrions-nous dès lors augurer favorablement de la situation présente ? Et comment ne reculerions-nous pas devant le mot « renaissance » comme devant un mauvais présage ?
Tout ceci avait été prévu par le Prophète. Il déclara : « Vous suivrez les voies de ceux qui vous ont précédés2 empan après empan, et coudée après coudée, jusqu'à les accompagner s'ils descendent dans le repaire d'un reptile venimeux. » Cette descente est en train de se produire, et on l'appelle développement et progrès.
Martin Lings, Retour à l'esprit, p. 106-112
1Sunan (singulier Sunna), c'est-à-dire les coutumes du Prophète.
2Les Juifs et les Chrétiens.