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9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 22:48

 

  Les paradoxes et contradictions manifestes de notre temps, époque érudite par excellence, ne sont peut-être nulle part plus flagrants que dans la littérature. D'une part, comme un vieillard devenu irrépressiblement bavard dans sa sénilité, l'espèce humaine produit un flot incessant de livres, et nous avons toutes les preuves qu'on écrit encore incomparablement plus que ce que l'on voit atteindre la publication. Aucune période de l'histoire ne peut, même de loin, entrer en compétition avec ce déluge, ni sous le rapport de la quantité ni sous celui de la profanation et de la futilité, – du manque de sens de réalité, si l'on préfère. La plupart des écrits sont d'ailleurs sans prétention, car ils ne revendiquent pas d'être davantage qu'un agréable passe-temps, et ils n'ont que peu d'espoir de ne pas être rapidement évincés par d'autres du même acabit. Ils partagent avec les mass mediala culpabilité de distraire l'homme de l'essentiel1, mais ils sont de loin beaucoup moins dangereux que les écrits de ces « héros » de l'actualité, héros littéraires, philosophiques et scientifiques, qui servent à endoctriner leurs lecteurs dans les diverses formes de l'erreur, et en général à les emprisonner dans les étroitesses de l'optique moderne.

  En même temps foisonnent ces ouvrages qui confirment cet aspect archiviste de la fin auquel nous nous sommes déjà référé. Une sorte de sentiment général qu'il faut tout préserver – sentiment qui semble plus collectif qu'individuel – a déclenché une inondation non seulement d'encyclopédies, mais aussi de traductions. Le travail investi dans les meilleures de ces « archives » n'est dans la plupart des cas qu'une participation passive à la sagesse de l'époque. Les raisons avouées en sont largement académiques ; mais cependant certains de ces classique traduits sont d'une grande valeur spirituelle, et le fait qu'ils soient actuellement disponibles offre un cadre providentiel aux ouvrages contemporains qui sont les représentants les plus directs de notre époque sous son meilleur jour, et qu'aucune autre époque n'aurait pu produire.

La Onzième Heure, Martin Lings


1 Sans oublier l'accusation que l'homme moderne manque du sens de sa responsabilité de roi envers son royaume végétal. On a calculé qu'il faut abattre une quantité énorme de grands arbres pour le papier nécessaire à publier un seul numéro d'un seul des principaux quotidiens new-yorkais, et dont pratiquement tout est jeté au rebut le lendemain.

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