Par conséquent, celui qui considère la voie des savants ou des juristes [de Couffa] ou bien des dévots (ʿubbād) ou des renonçants (zuhhād) [de Bassora], supérieure à celle des Compagnons, il est dans l’erreur et dans l’égarement et c’est un innovateur (mubtadiʿ). Quant à celui qui condamne, et qui désigne comme fautifs (maʿīb) et haïssables (mamqūt) ceux qui, tout en s’appliquant dans la voie de l’obéissance, commettent des erreurs, celui-ci est [lui-même] dans l’erreur et dans l’égarement et c’est un innovateur (mubtadiʿ).
De même, dans l’amour, la haine, l’amitié et l’animosité, les gens émettent des jugements et il arrive que, parfois, ils soient dans le vrai et parfois dans le faux. En effet, beaucoup de gens, s’ils aiment quelque chose chez un homme, alors ils lui portent un amour absolu, au point de s’aveugler sur ses défauts. Ou bien, s’ils détestent quelque chose chez un homme, alors ils lui portent une haine absolue, au point de s’aveugler sur ses qualités. […]. Une doctrine [aussi excessive] provient des innovateurs, des kharidjites, des mutazilites, et des murdjites.
Selon les ahl al-sunna wa al-ğamāʿa, le Coran, la Sunna et le consensus [des oulémas] indiquent que le croyant mérite (yastaḥiqqu) la promesse de Dieu et sa grâce : c'est-à-dire la récompense pour ses bonnes actions et le châtiment pour ses mauvaises actions. En effet, une même personne rassemble en elle aussi bien ce qui est digne de récompense que ce qui mérite le châtiment ; ce qui est louable et ce qui est blâmable ; ce qui est appréciable et ce qui est détestable. Ainsi en est-il.
Il est donc connu que le taṣawwuf est originaire (manšaʾ) de Bassora. Et il y avait dans cette ville ceux qui suivaient la voie de la dévotion (ʿibāda) et du renoncement (zuhd), en s’y appliquant à leur manière (iğtihād). Tout comme il y avait à Couffa, ceux qui suivaient la voie de la jurisprudence (fiqh) et de la science [religieuse] (ʿilm), en s’y appliquant (iğtihād) [également] à leur manière.
Cependant, les premiers ont été identifiés à une apparence vestimentaire : le vêtement de laine. Ainsi, ils furent nommés ṣūfī. Néanmoins, leur voie ne se limite pas au port d’un vêtement de laine, d’autant que celui-ci n’est ni une exigence de leur part, ni une des conditions de leur voie. Cette dénomination leur a été attribuée à cause de leur apparence (ẓāhir al-ḥāl).
L'épitre des soufis et des "pauvres en Dieu", Shaykh al-Islam Ibn Taymiyya, traduction Qais Assef
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